Quand le moteur de développement territorial se grippe
Durant ces trois dernières années, le trafic de conteneurs n’a jamais connu autant de perturbations. Toutes les étapes de la chaîne logistique ont été fortement impactées. La pandémie a été un terrible révélateur de cette fragilité et a surtout rebattu les cartes entre armateurs et chargeurs. Explications de Pierre Cariou, Economiste et Professeur à KEDGE Business School.
Comment est-on arrivé à cette situation à haut risque dans le transport de fret maritime ?
« Le tournant a eu lieu en 2015 avec la décision des principales compagnies maritimes, qui connaissaient à l’époque de graves difficultés financières, de se rapprocher pour offrir des services en commun et réduire les coûts. Avec la crise sanitaire et la congestion des ports, les prix ont bien entendu explosé, en étant multipliés par dix en quelques semaines ! Mais ce qui nous alerte aujourd’hui, c’est qu’ils restent encore aujourd’hui à un niveau très haut.»
De quelle façon et quelles en sont les conséquences ?
« Même si les grands ports sont congestionnés, les armateurs poursuivent cette logique de massification. Alors qu’ils contrôlent également le feedering, ils pourraient développer des solutions alternatives vers des ports secondaires. Au contraire, ils préfèrent continuer d’investir dans les grands hubs maritimes internationaux. Nous payons aujourd’hui les décisions prises il y a 20 ans de laisser la gestion des ports à des opérateurs privés.»
À vous écouter, le modèle semble donc à bout de souffle… Quelles sont les solutions ?
« Les États-Unis ont été les premiers à réagir, avec des actions antitrust contre les armateurs. Les grandes multinationales américaines comme Amazon ou Walmart ont également décidé d’affréter directement leurs propres navires afin d’importer leurs marchandises sur les ports secondaires de la côte est. Les gros chargeurs américains sont même prêts à coopérer pour obtenir de meilleures conditions de transport. Ce n’est pas dans la tradition européenne. On peut espérer que les politiques de relocalisation offrent l’opportunité aux ports intermédiaires de revenir un peu plus dans le jeu. En tout cas, cette situation globale remet complètement en cause l’idée que le transport maritime participe forcément au développement de tous les territoires. »